Laurent Gutmann s’approprie le mythique conte de Perrault dans une adaptation libre cyniquement intitulée « Le Petit Poucet ou Du bienfait des balades en forêt dans l’éducation des enfants » et actuellement à l’affiche du Théâtre Paris-Villette. Nous avions eu l’occasion de lire le texte en amont, publié chez Lansman éditeur, et force est de constater que la mise en scène en est tout aussi jubilatoire ! 

LE PETIT POUCET

« Le père : Salut. On se connaît ? Depuis que notre fils, le Petit Poucet, est parti vivre sa vie en forêt, ma femme et moi avons pu reprendre un tas d’activités : le basket par exemple, j’ai toujours aimé jouer au basket, ma femme aussi s’y est mise. Nous avions enfin pu faire tout ce que nous rêvions de faire et qui était incompatible avec la vie de famille. Il faut dire que notre Petit Poucet, et ce n’est pas en dire du mal que de dire ça, nous coutait très cher et nous prenait beaucoup de temps. Un enfant comme ça, il fallait avoir les moyens de se le payer. »

Nous connaissons tous l’histoire de ce pauvre Petit Poucet abandonné par ses parents dans la forêt car ceux-ci avaient trop de bouches à nourrir et n’arrivaient plus à joindre les deux bouts. Laurent Gutmann choisit d’en accentuer ici l’horreur en faisant du Petit Poucet l’enfant unique de ses parents. Ces derniers n’ont d’ailleurs pas l’air d’hésiter énormément entre leur confort personnel chamboulé par l’arrivée de cet enfant qui a toujours faim et le radicalisme de la décision de s’en débarrasser. Mais le Petit Poucet a de la ressource et finira par faire entendre sa voix.

Dans cette version inquiétante du conte de Perrault l’accent est porté sur le détachement effrayant dont font preuve les odieux parents du Petit Poucet. Ils nous apparaissent totalement insensibles à l’avenir de leur enfant, comme s’ils regrettaient l’idée même d’en avoir eu un. Ils mettent en perspective de manière glaçante leur vie d’avant les sacrifices arrivés avec la procréation. Une analyse froide et cynique qui met en avant le changement du rapport à la filiation dans notre société, il est dorénavant le fruit d’un vrai questionnement et non plus un automatisme qui suivrait l’évolution naturelle du couple. Pour élever un enfant il faut y être prêt et en connaître toutes les difficultés. Porté à la scène avec maestria par David Gouhier et Jade Collinet le duo de parents en devient surtout férocement drôle et permet un multiple niveau de lecture du conte. Les adultes et les adolescents présents dans le public apprécieront à n’en pas douter cet humour noir et détaché. Le spectacle n’en est du coup plus cantonné au rang de pièce jeune public. Laurent Gutmann accentue ce positionnement avec son choix de faire jouer le rôle du petit poucet par un acteur adulte petit, plus âgé que les autres comédiens de surcroît. Ce décalage malin instaure immédiatement une évidente dissonance au sein de la cellule familiale, le manque d’amour doublé paradoxalement de l’attachement à un enfant que l’on ne veut pas vraiment voir grandir, l’envie indicible pourtant de mettre ses enfants dehors, de s’en débarrasser égoïstement pour survivre soi.  Jean-Luc Orofino s’amuse de ce rôle presque mutique et nous offre un petit poucet follement original et investi. Heureusement, malgré la noirceur de ce conte, il persiste une lueur d’espoir sur les déviations de la nature humaine, le Petit Poucet en est un exemple parfait incarnant à lui seul le pardon absolu. Il reviendra de son aventure quelque peu forcée, plus grand dans son affirmation de soi et certainement toujours aussi affamé. 

Audrey Jean

« Le Petit Poucet ou Du bienfait des balades en forêt dans l’éducation des enfants » Ecriture et mise en scène de Laurent Gutmann

Spectacle tout public dès 9 ans

Avec Jade Collinet, David Gouhier et Jean-Luc Orofino 

Jusqu’au 25 Octobre

Mercredi 15 à 14H30, Vendredi 17 à 19H, Dimanche 19 à 16H,
Les mardi 21, mercredi 22, jeudi 23 à 14H30
Vendredi 24 à 19H
Samedi 25 à 16H

Théâtre Paris Villette
211 av Jean Jaurès 75019 Paris

Tournée 2014/2015

Aix en provence – Le bois de l’aulne – les 6 et 7 novembre
Nantes – le Grand T- les 13, 14, 20 et 21 novembre, les 1 et 2 décembre, les 11 et 12 décembre
La Rochelle – La Coursive – du 25 au 28 novembre
Cormeilles-en-parisis – Théâtre du Cormier – le 16 décembre
Dole – Les scènes du Jura – les 18 et 19 décembre

 

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