Après le couple Macbeth Anne-Laure Liégeois prolonge son exploration du rapport au pouvoir et de la mégalomanie autour d’un autre couple emblématique les Cæusescu. S’appuyant sur un texte brillant commandé pour l’occasion à David Lescot, elle nous gratifie d’une mise en scène chiadée interprétée avec maestria par le tandem Agnès Pontier et Olivier Dutilloy. Encore 2 jours pour découvrir ce spectacle enthousiasmant à Malakoff avant on l’espère, une multitude d’autres dates !
La Roumanie du XXème siècle fut marquée au fer rouge par la tyrannie de ce duo implacable. Partis de rien, doués pour pas grand-chose, les Cæusescu eurent un parcours politique atypique, presque surréaliste s’il ne s’était pas avéré aussi tragique. De leur pauvreté familiale, de leur médiocre adolescence jaillira après leur association une faim inépuisable de gloire. De leur rencontre naîtra un égo monstre, une entité dévastatrice que seule la fusillade finale arrêtera.
David Lescot signe ici un texte passionnant, mélange original entre une farce historique à l’humour féroce et une satire délirante. La trajectoire des Causecu est pourtant parfaitement retranscrite, du point de départ de leur vie terne et misérable à l’ascension machiavélique, à la fabrique du monstre. En se moquant allègrement de ces personnages ubuesques l’on revit aussi avec effroi des évènements finalement pas si lointains. Par un habile jeu de narration, les comédiens alternent deux dynamiques, un récit détaché, grinçant et l’incarnation des Cæsescu. La réalité historique est en effet bien trop sordide et il fallait au moins cette distanciation jubilatoire pour ne pas être horrifié par la violence des exactions du couple.
Le parallèle est passionnant entre les deux spectacles d’Anne-Laure Liégeois, les Macbeth et les Cæusescu se répondent presque dans la démesure de leur soif de pouvoir, dans leur folie boulimique. Chez l’un comme chez l’autre la transformation est progressive, l’ambition en crescendo continu alimentée par une figure féminine dominante. C’est bien Elena Cæusescu qui façonne son dirigeant de mari tout comme lady Macbeth soufflait les scénarios de meurtre à l’oreille de son époux, c’est bien dans l’intimité de leur chambre nuptiale que se sont élaborées toutes ses stratégies de conquête de la Roumanie. Anne-Laure Liégeois l’illustre sur le plateau par un décor cloisonnant, enfermant le couple sur lui-même. A l’instar du « Macbeth », cette nouvelle création bénéficie d’une scénographie extrêmement visuelle particulièrement réussie, une esthétique qui propulse immédiatement ce fragment historique passé dans une réalité contemporaine, une reconstitution presque pop de la trajectoire fulgurante des Cæusescu. Enfin la distribution de cette création finalise le tableau, les deux comédiens s’en donnent à cœur joie dans cette partition sur mesure. Dirigés avec brio, Agnès Pontier et Olivier Dutilloy incarnent à la perfection ces personnages jouissifs. Ni trop ni pas assez, toutes leurs intentions sont ici distillées à la juste mesure. Gloire et décadence, folie grotesque et égos surdimensionnés « Les époux » vont vous faire aimer la cruauté.
Audrey Jean
« Les époux » de David Lescot
Mise en scène Anne-Laure Liégois
Avec Agnès Pontier et Olivier Dutilloy
Crédits photo Christophe Raynaud de Lage
Vendredi 5 Février à 19H30
Samedi 6 Février à 20H30
Théâtre 71, Scène nationale de Malakoff