Théâtre : « Les Suppliques » du Birgit Ensemble

Le Birgit Ensemble, depuis 2013, met en lumière certains pans de l’histoire à travers des récits politiques, historiques et intimes. A cet effet, Julie Bertin et Jade Herbulot du Birgit Ensemble ont été contactées par Alexandre Hallier, producteur de cinéma et Laurent Joly, chercheur et historien, autour d’un projet de documentaire intitulé « Les Suppliques » co-écrit avec Jérôme Prieur. Ce documentaire, conçu à partir de lettres retrouvées aux archives du Commissariat général aux questions juives (CGQJ), se devait d’avoir un pendant théâtral et notamment au Théâtre Gérard Philippe. Six lettres ont été sélectionnées traduisant six destins soulevant des questions sur cette période trouble. Laurent Joly a épaulé ce projet théâtral en participant à ce travail  d’enquête et d’écriture joliment retranscrit. Un spectacle qui brille par sa qualité esthétique et sa charge émotionnelle !

Les comédiens, installés de façon bi-frontale, apportent une force incroyable au propos du spectacle. La puissance du texte et de sa narration emporte le public dans ces années où la France était partagée en 2 zones : l’une libre et l’autre occupée ; celles-ci dirigées par le gouvernement monstrueux de Vichy à la solde des nazis. Les lettres sont mises en espace et théâtralisées afin de mieux ressentir la dramaturgie de ces divers destins frappés par le zèle immonde de la police française. Ces lettres rendent compte des drames qu’ont vécu Edith Schleifer, de Gaston Levy, de Renée Haguenauer, d’Alice Grunebaum, de Léon Kacenelenbogen et de Charlotte Lewin. Le travail d’enquête et de conception élaboré par le Birgit Ensemble a permis d’imaginer certains trous dans ces existences fracassées en apportant une fluidité au propos de la pièce. La question de la servilité de l’Etat français et de la spoliation des biens juifs interrogent toujours l’histoire. La tragédie de ces familles de confession juive témoignent de cette entreprise d’anéantissement de citoyens français. Leur naïveté et leur incrédulité, face à ces événements tragiques, ont scellé le sort de ces familles juives qui avaient envoyé des suppliques à Pétain. Ces missives, reçues par des fonctionnaires antisémites au CGQJ, permettaient par la suite à la police française d’apporter ces éléments à la gestapo aux fins de déportations.

La puissance de ces écrits décuple sur scène une charge émotionnelle patente. La mise en scène de Julie Bertin et de Jade Herbulot, esthétique et très fine, et nourrie par le jeu remarquable des comédiens, confère à ce magnifique spectacle un cachet supplémentaire.

Laurent Schteiner