Jean Boillot vient de mettre récemment à l’honneur l’auteur argentin Armando Llamas, à travers sa création No way Veronica ou nos gars ont la pêche. Cette création tirée de 14 pièces piégées d’Armando Llamas met en scène une fiction corrosive et désopilante dénonçant la misogynie et la sexualité décrites dans les films essentiellement américains.
Cette création, est une parodie des films d’horreur The Thing de John Carpenter. Neuf hommes travaillent sur une base météorologique au milieu de l’Océan Antarctique. Les conditions sont rudes, mais les hommes forment une communauté solidaire et joyeuse, qui sait faire la fête après l’âpreté du travail. Mais un danger nouveau se manifeste en la personne de Veronica, une vampe nymphomane, pleine d’inventions et de fourberies, prête à tout pour séduire les gars !
Ce spectacle, qui ne ressemble à nul autre pareil, s’apparente à un cabaret musical complètement déjanté. Décrire cet objet théâtral relève de la gageure tant l’originalité et le burlesque nous emportent vers un univers inconnu. Jouant sur différents registres, Armando LLamas met en relief le manichéisme des films américains où les communautés masculines supposées viriles affichent des connotations homosexuelles. Et par extension, la symbolique de Véronica traduit la misogynie s’exerçant principalement à l’encontre des femmes jugées malfaisantes. L’humour misogyne de comptoir de ce spectacle constitue un élément provocateur dénonçant ces pratiques de bas étage à l’égard des femmes. Jean Boillot, porte-parole d’Armando Llamas, y dénonce la suprématie de l’hétérosexualité constituée en norme dans les années 80. Fustigeant cet état d’esprit rétrograde, Armando Llamas se faisait ainsi le chantre des luttes homosexuelles et féministes.
L’apport des bruitages nous projette dans ces films où la création sonore s’avérait fondamentale. Ces bruits réalisés à la façon beatboxing apporte une note humoristique et décalée transcendant l’espace scénique en un espace sonique (bruit des rotors des hélicoptères ou encore des pas sur la banquise…). La musique de David Jisse, unique et prodigieuse enchante ce spectacle d’une folle utopie. Les comédiens sont proprement incroyables. Bruiteurs, musiciens, chanteuse et interprètes, ces artistes assurent une magnifique partition en nous offrant plus d’une heure de plaisir. Saluons la performance d’Isabelle Ronayette qui articule ce spectacle avec aisance et talent ! Alors que les montées des populismes se font plus pressantes, Jean Boillot, en remettant au goût du jour l’Å“uvre d’Amando Llamas, crée un appel d’air salutaire vers un changement radical des mentalités toujours dominées par un patriarcat poussiéreux.
Laurent Schteiner
No way Veronica ou nos gars ont la pêche d’après l’oeuvre d’Armando Llamas
Mise en scène de Jean Boillot
avec Philippe Lardaud, Isabelle Rovayette, Jean-Christophe Quenon et Hervé Rigaud
- Création musicale : David Jisse avec la complicité de Hervé Rigaud et de Jean-Christophe QuenonÂ
- Lumière : Ivan Mathis
- Sonographie : Christophe Hauser
- Costumes : Pauline Pô
- Régie générale : Perceval Sanchez
- Copyright : Square & Martins Production
Le 11-Avignon programme des pièces qui osent, contemporaines, originales dans leur conception… No way, Veronica n’échappe pas à la règle. De manière fort salutaire on est déconcerté par l’entrée en scène des personnages, mi-show à l’Américaine, mi-Tex Avery, mi-Cosmos 99 (oui, ça fait trois « mi », mais après tout…). Et puis on est tout de suite pris par l’ambiance et plongé dans le bain… polaire de la pièce. L’intrigue est plaisante et drôle, une blague hypertrophiée, une parodie de film d’horreur (The Thing), une performance d’actrice extraordinaire (Isabelle Ronayette interprétant huit personnages + un(e)…). Tout est réuni pour qu’on se laisse embarquer avec joie, y compris la musique, omniprésente. Le comique de répétition fonctionne à merveille, les variations sur le thème de l’invasion sont à mourir de rire, et que dire de cette brochette de personnages symbolisant toute la virilité holywoodienne, de Richard Widmark à Chuck Norris en passant par James Mason ou Peter Falk ?…
Mais au-delà de la comédie cartoonesque, se lit une vraie inquiétude sur les grands problèmes de notre époque, le climat, la masculinité en question, les relations hommes-femmes, et l’on ne peut s’empêcher de penser qu’on a peut-être sous les yeux une image de la société vingt ans après Me Too… Assez terrifiant, finalement.
Une pièce à voir pour se faire plaisir, mais pas que…