Théâtre : « Nos seins » de Françoise Lorente

Le Théâtre de la Reine Blanche met à l’honneur dans le cadre d’Octobre rose, un superbe spectacle poignant de  Françoise Lorente  qui nous fait part comment la maladie, le cancer du sein a violemment frappé son intimité affectant tout son être. Cette Odyssée, dont elle consacre ce vocable, se déroule avec humour, poésie mais avec un réalisme glaçant. Saluons Elisabeth Bouchaud et Sabine Dacalor pour avoir présenté un sujet si prégnant. Sur ce sujet délicat, peu de théâtres ont su y répondre conséquemment… 

L’histoire de Françoise est  malheureusement loin d’être un cas isolé. Mais son témoignage, courageux et émouvant, nous est exprimé avec la violence et la douleur qui accompagnent la détection de son cancer du sein. Elle résume bien sa tragédie personnelle avec la mise en perspective du dessin animé bien connu où le coyote court dans le vide et s’aperçoit soudain sa situation qui le fait tomber automatiquement. Tout s’écroule. Les pans de sa vie vacillent. Une femme sur 8 développe ce cancer malin invasif. Tel un boxeur qui reçoit coup sur coup, Françoise titube. Les coups sont autant d’informations délivrées avec la froideur minérale qui caractérise certains médecins. Elle se révolte et se plait à souhaiter qu’ils vivent cela à leur tour. Au nom de la routine professionnelle, chaque patient devient pour eux un dossier perdant en cours de route leur humanité  initiale.

Interrompant le cours de son récit, Françoise nous partage des témoignages sonores de femmes ayant vécu cette difficile traversée. Cette sororité la rapproche de cette communauté de femmes blessées dans leur corps. Leurs espoirs, leurs craintes nous claquent au visage. Françoise est une femme généreuse et courageuse qui tire sa force de ses proches et de sa « belle » toujours à ses côtés dans ses terribles moments, où l’attente des résultats constitue une torture permanente. Elle lutte avec force et désespoir à l’instar de son sport de prédilection, l’Aïkido, mais son ennemi ne joue pas avec les mêmes règles. Son passé remonte à la surface avec l’accident de sa sÅ“ur, ses règles s’interposant à cette fatalité qui la frappe. La figure de Sainte Agathe de Catane, une martyre chrétienne torturée par les seins prend tout son sens dans son parcours accidenté.

Le récit de Françoise est très émouvant et ses saillies pleines d’humour assoient sa vitalité de survivre. Se mettant totalement à nu, elle fait montre d’une rare sensibilité qui nous émeut tous car elle devient notre miroir, une soeur qui nous touche profondément par cette proximité qu’elle développe avec tant de simplicité. Ce seul en scène ne raconte pas seulement une histoire, un accident de parcours comme certains pourraient le décrire ou le croire mais davantage le traitement sociétal réservé à ces femmes au corps atrophié et mutilé blessées dans leur dignité. Une question qui remet la place de la femme au centre de nos préoccupations majeures.

Laurent Schteiner.