Théâtre : « Ombre (Eurydice parle) » d’après Elfriede Jelinek aux Plateaux Sauvages

Les Plateaux Sauvages mettent actuellement à l’honneur un texte du Prix Nobel de littérature, Elfriede Jelinek, Ombre (Eurydice parle). Elfriede Jelinek s’empare du mythe de Orphée et Eurydice afin de lui donner une autre direction, d’ouvrir une nouvelle voix, mais cette fois plus inspirante au regard de l’évolution de notre société. Marie Fortuit accomplit un travail de mise en scène et de direction d’acteurs étonnant dans ce spectacle esthétisant. 

Eurydice, au royaume des morts, s’est enfin décider à parler. Revisitant le mythe d’Orphée et d’Eurydice, Elfriede Jelineck laisse son héroïne s’épancher. Mordue par un aspic, elle quitte notre monde pour rejoindre le royaume des ombres. Ombre, elle-même d’Orphée, rock star adulée par ses jeunes fans, et désormais ombre au royaume des morts, elle ne saisit pas la différence. Son goût pour la mode lui permettait de se dissimuler à l’abri des regards. Désormais, ses vêtements ne sont que des lustres disposés sur une dépouille. Il est certain qu’il voudra la retrouver, ombre manquante à son ombre. Le veut-elle ? Pas sûr. A quoi bon ? Aspirant à la tranquillité et au silence, elle sait la portée de sa disparition, du manque qu’elle suscitera malgré les bruits et la fureur qui se dégagent de chacune de ses appariations.

Les propos incantatoires d’Eurydice à contre-courant de la litanie de sa complainte originelle tordent le cou à la tradition du mythe. Loin d’être esseulée, elle apprend à être. Texte prolixe par essence, il résonne comme la voix ultime des femmes. Cette voix, fière et généreuse , qui accepte son destin sans l’assistance de l’homme. Ces propos assènent à coup de burin la vérité d’une femme qui se complait plus que dans sa vérité propre et dans sa parole. Rendons un hommage à Virgile L. Leclerc qui réalise une très belle performance sur un texte si exigeant et imposant. La langue de Elfriede Jelinek coule tel un flot inarrêtable illustrant l’allégorie d’une parole qui se délie à l’envi. Signe des temps, on doit l’entendre !

Laurent Schteiner