« On n’a pas pris le temps de se dire au revoir » de Rachid Bouali

C’est au Nouveau théâtre de la Concorde, ex Espace Cardin, repris depuis peu par la Mairie de Paris sous la direction d’Elsa Boublil, que Rachid Bouali a pu présenter sa magnifique création, On n’a pas pris le temps de se dire au revoir. Ce spectacle émouvant et drôle nous conduit sur les traces de son identité de français d’origine algérienne. Un spectacle touchant plein d’humanité avec en toile de fond les cicatrices profondes laissées par les déchirures de la guerre d’Algérie et le poids intrinsèque lié au déracinement.   

Rachid demeure impuissant devant les tractopelles qui détruisent sa cité, dans la quartier de la lionderie. Au-delà de la destruction même de cette enceinte de vie, il pleure ses souvenirs, entassés pêle-mêle dans ce lieu de vie, piétinés et ensablés par les engins de chantiers. Les évocations de sa vie passée l’étreignent d’autant qu’il ressent que son identité lui semble illisible. Qui est-il vraiment ? Considéré par les uns comme un magrébin en France et par les autres comme un français en Algérie, il ne peut trouver sa place ! Cette place, déniée dans ces deux pays revient à accroitre son mal-être et sa perte de repères. Ceux-ci au contours flous lui témoignent que les gaulois sont ses ancêtres ! Tout concourt au rire et à l’émotion qui nous étreint. L’identité se mâtine généralement d’une histoire commune, d’un passé national commun qui assoit une identité. Mais pas pour Rachid. Dune famille déracinée, quittant l’Algérie pour la France, Rachid, rejetant les préjugés repart aux sources mêmes de son identité. Ce sable, qui asphyxie sa cité, devient le dénominateur commun du pays natal de ses parents. Mais Rachid ne dispose pas de souvenirs de ce pays où ses parents ont vécu. Ce lieu d’appartenance demeure une énigme pour lui. Les multiples questions posées à ses parents n’ont jamais tari sa soif de saisir son identité. Il comprend qu’il possède un atout, la richesse d’une double identité que certains lui dénient. La mort de son père sonne le glas de ce lien intangible qui le reliait à cette terre. Les guerres qui ont secoué l’Europe ont été le théâtre d’opérations où son grand-père et père se sont illustrés, nous donnant à voir l’amour de la France inscrit dans les gènes familiaux, Rachid rouvre également le livre des meurtrissures entre la France et l’Algérie, sur lequel il porte un regard factuel, traduisant avec subtilité et délicatesse son malaise. La guerre et son cortège d’exactions défilent sous nos yeux nous rappelant cette triste page d’histoire aux plaies toujours à vif. Mais l’humour et le recul dominent les débats. A ce titre, il avoue avec fracas que ces parents ont changé de département en emménageant dans la banlieue parisienne ! Mais alors que son identité se dessine, que peut-il transmettre à ses enfants ? Ces questions existentielles secouent toujours tout être déraciné à la recherche de soi. A la façon d’un magnifique conteur, il déroule sa faconde avec talent et humanité. Ses questions appellent à se réinventer et générer une nouvelle manière de vivre ensemble.

Laurent Schteiner