C’est à la Manufacture que la compagnie belge MAPS nous offre récemment la possibilité de découvrir cette jolie création. Cet ovni au titre bien curieux « Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon? » s’avère être un spectacle absolument brillant, surprenant tant par une forme faussement désinvolte et en réalité extrêmement complexe que par son interprétation magistrale. Du génie à bien des égards !
Cette question centrale et totalement délicieuse à savoir « Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ? » sera répétée bien des fois dès le début du spectacle, non sans un regard malicieux des deux protagonistes Emmanuel de Candido et Pierre Solot également concepteurs de ce spectacle rocambolesque. Ces deux-là nous accueillent dans un espace bureau un peu foutraque, fauteuils classieux et bon nombres d’accessoires de geek, grands écrans et fils électriques dans tous les sens, pas de doutes nous avons affaire à des experts. Ils commencent par nous présenter d’ailleurs la multitude de leurs talents, acteurs, musicologues, philosophes, chanteurs, ils ont incontestablement les attributs et le savoir nécessaires pour nous expliquer pourquoi bon sang Jessica a-t-elle quitté Brandon. Car bien qu’anodine cette question explique des choses essentielles et prendra tout son sens au fur et à mesure de l’avancée de cette intrigue sinueuse et passionnante. De cette situation banale en effet, une rupture dans un café Starbucks où Jessica lance comme un dernier avertissement à Brandon « Ou bien tu me parles, ou bien je te quitte », va naître un puzzle jubilatoire qui dessine peu à peu les contours d’une histoire de notre temps, un récit de vie vraie témoignant avec force de toute la folie de notre société contemporaine.
Tandis que démarre une première partie, sorte de colloque drolatique et explicative sur les enjeux de cette question fondamentale nous sommes dans un premier temps séduits par ce sens de l’humour décalé, le positionnement didactique et un brin pédant de nos deux conférenciers. Pourtant nous sentons déjà que derrière cette question légère et toujours aussi loufoque se cache une histoire plus profonde mais nous étions loin de nous douter à quel point. Dans ce récit décomposé avec maestria s’imbriquent en effet de plus en plus d’éléments du réel tandis que les deux orateurs essaient de comprendre qui est Brandon, quel est son monde. Brandon est un enfant du numérique, il grandit en Amérique avec les jeux vidéos, les réseaux sociaux, les technologies et cela, tout cela et aussi tout le reste influence qui il devient, cela transforme son histoire de jeune homme lambda et le propulse en figure centrale d’une tragédie contemporaine.
Emmanuel de Candido et Pierre Solot dressent ainsi en mosaïque le portrait de toute une époque, incluant toute une génération dans le récit par le biais de références cultes de la culture geek, ils confèrent à la petite histoire intime, à la vie de Brandon un caractère universel et par là même ils réalisent une analyse sociétale pointue, un décryptage en bonne et due forme d’un événement majeur et de son impact médiatique sur la construction de l’opinion public. Dans l’illustration du parcours de Brandon c’est bien de conscience individuelle, de contestation dont il est question et de la nécessité plus que jamais de résister à ce qui nous paraît injuste. Difficile d’en dire plus sans divulgacher les nombreux rebondissements de cette enquête théâtrale trépidante dont le crescendo est en tous points une réussite, nous laissant sidérés par l’enchevêtrement du récit et les révélations qui en découlent.
Audrey Jean
concepteurs et interprètes :Pierre Solot et Emmanuel De Candido
co-mise en scène : Olivier Lenel
créateur lumières et directeur technique : Clément Papin
scénographe : Marie-Christine Meunier
conseillers artistiques : Zoumana Meïté
création et dramaturgie sonore :Milena Kipfmüller
conseils vidéo : Lou Galopa
costumes : Perrine Langlais
17h35 (1h27) – La Manufacture – à partir de 12 ans – 7 > 26 juillet – relâches les merc 13 et 20