Tout nouveau directeur du Théâtre de la Colline Wajdi Mouawad nous gratifie  en ce début de saison de la reprise de l’un de ses spectacles les plus intimes « Seuls ». Le monologue puissant créé en 2008 marque l’ouverture d’un nouveau cycle autour de la famille « Domestiques ». Une quête initiatique bouleversante, un chemin sinueux entre mots et peinture. Étrange et fascinant.
C’est la rencontre entre la sensation et le sens, entre le percept et le concept, comme le dit Deleuze, qui m’a donne l’impulsion. Quand je me suis trouvé devant le tableau « Le retour du fils prodigue » de Rembrandt, il y avait une telle évidence que je me suis aperçu que j’étais en train de passer totalement à côté de ma vie. J’ai donc voulu rentrer dans le tableau pour retrouver mes sensations d’avant. Si le mot n’était pas trop fort, je dirais que c’est une sorte de suicide, une volonté d’arrêter mon « robinet »à mots. Renverser la machine, oser aller dans des endroits dangereux pour moi, le lieu des non-dits. Wajdi Mouawad
Harwan étudiant en sociologie de l’imaginaire cherche désespérément la conclusion de sa thèse sur « Le cadre, comme espace identitaire, dans les solos de Robert Lepage ». Son père et sa soeur n’y comprennent pas grand-chose et lui-même se demande si finalement tout ce travail n’est pas vain. « Comment savoir si on est en train de rater sa vie ? » Lorsque son père se retrouve dans le coma Harwan n’aura plus le choix et devra se poser les bonnes questions.
Tous les thèmes de prédilection de Wajdi Mouawad se retrouvent dans cette création : la filiation, la quête identitaire, les racines ainsi qu’une certaine forme de violence. Pourtant ce spectacle constitue une aventure unique dans le parcours du dramaturge, un tournant majeur, un point de bascule. En se mettant lui-même en scène Wajdi Mouawad se livre physiquement au spectateur l’entraînant dans cette sphère de l’intime.  Il brouille les pistes cependant, le spectacle se découpant en deux parties distinctes. Ce sont d’abord les mots qui viennent, doucement, maladroitement, difficilement, violemment enfin. Il a du mal à parler Harwan, il les cherche ses mots, il cherche la conclusion de sa thèse, il cherche le sens peut-être, irrémédiablement.  Son esprit vagabonde tandis qu’il se déplace lentement du lit de son studio à son ordinateur, du sol à son téléphone, errant dans son propre appartement à la recherche de sa propre vie. Pour mieux plonger dans cette intimité la scénographie soutient les silences à l’aide de vidéos-projections fascinantes, des images de Wajdi Mouawad faisant ainsi face à lui-même dans une dichotomie troublante et poétique.
Mais les mots ne viennent pas, ils ne disent pas assez, ils ne suffisent pas, ne calment pas cette recherche de sens alors Harwan, comme enfermé dans son propre corps, laisse exploser une autre forme de langage plus primitive, plus violente aussi. Sans dévoiler l’élément de bascule qui le conduit à une débauche jubilatoire de peinture, à la manière d’un Pollock, nous pouvons dire que cette seconde partie est davantage de l’ordre de la performance. Force est de constater qu’elle révèle d’autant plus ce tournant dans l’écriture de Mouawad qui reconnaît lui-même pouvoir être submergé par ses propres mots. Ainsi « Seuls » bouleverse les repères, dessine en pointillés une nouvelle grammaire théâtrale où tout est langage, tout est expression du soi, « Seuls » est l’illustration d’une errance, perfomative et abstraite, intimiste et universelle à la fois.  Inutile de préciser à quel point nous sommes impatients de découvrir la suite de ce cycle !
Audrey Jean
« Seuls »
texte, mise en scène et jeu : Wajdi Mouawad
Dramaturgie, écriture de thèse : Charlotte Farcet
Scénographie : Emmanuel Clolus
Jusqu’au 9 OctobreÂ
Le mardi à 19H30
Du mercredi au samedi à 20H30
Le dimanche à 15H30
Théâtre National de la CollineÂ