La Compagnie Brutaflor nous offre jusqu’au 4 mai une variation autour de La Mouette de Tchekhov intitulée “Sujet pour une petite nouvelle” et mise en scène par Flavia Lorenzi. Une création audacieuse bien qu’un peu scolaire par endroits, servie par une jeune équipe généreuse qui laisse éclore des talents prometteurs !
Au bord d’un lac un été une mouette symbole de l’existence de Nina, muse de Konstantin qui rêve de devenir actrice. Tous deux souffriront du poids et de la réussite de leurs aînés Trigorine et la mère de Konstantin, Irina Arkadina. Dans ce huis-clos les relations entre les personnages vont évoluer, bouleversant en apparence l’ordre établi.
Véritable échec lors de sa première création “La Mouette” a depuis inspiré bon nombre de metteurs en scènes pour des adaptations plus ou moins pertinentes. On peut se demander ce qui motive autant les jeunes créateurs contemporains à s’attaquer à de tels monuments. La réponse est dans le texte lui-même, Tchekhov posait déjà les fondamentaux des laboratoires de recherches théâtrales d’aujourd’hui, la quête permanente de renouveau dans la forme : “il faut des formes nouvelles”. C’est une réflexion posée dès les premières scènes de “La Mouette” avec l’accueil mitigé réservé à l’interprétation du texte de Konstantin par Nina. Ce questionnement n’a pas d’âge, il est présent quelque soit l’époque, on le retrouve de nos jours avec l’essor de formes plus performatives ou encore par exemple récemment avec les propositions subversives de Dan Jemmet. Une mise en abîme du théâtre qui passionne à raison les nouveaux créateurs, eux qui à l’image de Nina sont à la recherche d’une certaine forme de reconnaissance. Flavia Lorenzi s’empare donc de ce classique avec générosité et sans prétention ce qui est déjà à souligner. La variation qu’elle propose fait preuve d’une belle méthode dramaturgique et d’un foisonnement dans la recherche notamment sur le travail autour de la choralité. Malgré quelques maladresses comme l’utilisation un peu systématique du micro, l’ensemble constitue une proposition intéressante qui séduit dans sa globalité.
Au delà de la recherche sur la forme Tchekhov posait également la question de la condition de l’artiste. Quelle est la nuance qui propulse un individu au statut tant désiré d’acteur ou d’auteur reconnu ? Flavia Lorenzi oppose dans sa mise en scène la puissance et le charisme de l’expérience chez les personnages de Trigorine et Irina, à quelque chose de beaucoup plus éthéré et fragile chez Nina et Konstantin. Avec sa direction d’acteur Nina apparaît presque ingénue, stupide petite chose éblouie par les paillettes et ses rêves de gloire. Elle n’en sera qu’une proie plus facile pour un Trigorine obsédé par sa nécessité d’écrire, séduit furtivement par sa fraîcheur dont il se lassera en une seconde. Le constat est alors sans appel, Nina et Konstantin n’ont pas les armes pour se battre et seront broyés par la noirceur du drame. La Compagnie Brutaflor place la tragédie dans un univers étrange, un espace-temps indéterminé où l’on se plaît à imaginer qu’il ne s’agirait que d’un cauchemar de Nina. Les comédiens jouent d’ailleurs avec cette dualité. Sommes-nous dans une réalité ou un espace de jeu ? La pièce a-t-elle commencée ? Flavia Lorenzi met ainsi de côté la complexité un peu lourde des personnages de Tchekhov au profit d’une atmosphère soignée et servie par une belle création musicale. Au sein de cette partition saluons les performances de Julien Saada et Alexander Cole qui tirent remarquablement leur épingle du jeu dans ce spectacle. En résonance avec le travail autour d’Hamlet actuellement au Théâtre de Belleville, cette création présente les mêmes défauts, à savoir peut-être une volonté de trop en faire, mais laisse présager d’une belle évolution que nous ne manquerons pas de suivre !
Audrey Jean
“Sujet pour une petite nouvelle” mise en scène de Flavia Lorenzi
Une variation de La Mouette de Tchekhov
Avec Alexander Cole, Alexandre Meunier, Delphine Ory, Jérôme Aubert, Julien Saada, Maïe Degove et Marion Franqui
Jusqu’au 4 mai
Du mercredi au samedi à 20H30
Le dimanche à 17H
Théâtre de l’Opprimé
78/80 rue du Charolais
75012 Paris