La dernière mise en scène de Tartuffe, par Luc Bondy à l’Odéon, constitue sans nul doute une proposition fort intéressante. Elle ne se range pas parmi les énièmes mises en scène qui veulent à tout crin dépoussiérer une œuvre classique mais elle apporte un regard intéressant sur cette célèbre pièce de Molière, n’en déplaise aux puristes !
Tartuffe, aventurier et imposteur prend pied au sein d’une famille paisible. Affublé de son étiquette de dévot, il manipule Orgon afin d’obtenir ses faveurs et celles, plus charnelles, d’Elmire Son plan machiavélique fonctionne à merveille puisqu’Orgon veut en faire son gendre et lui confie le soin de veiller sur une correspondance compromettante enfermée dans une cassette. Le reste de la famille n’aura de cesse à obtenir la perte de ce personnage fourbe.
Luc Bondy a assis cette pièce sur la manipulation mettant la religion en second plan. Ce parti pris permet de mettre en lumière des aspects de la pièce traditionnellement écornés par les mises en scène classiques. Ici l’aspect social et financier, la manipulation, la politique tiennent un rôle prépondérant. Incluant le texte dans cette dramaturgie avec bonheur et loin d’être un assemblage abscons comme le témoignent certains détracteurs fidèles à une éthique intellectuelle bien- pensante consistant à entourer le texte d’une dramaturgie classique, Luc Bondy a bel et bien réussi son pari.
Sa lecture des personnages est savoureuse. Il offre le soin à chaque comédien d’établir un contrepied à son personnage. C’est ainsi que Tartuffe, apparait comme visqueux et nauséabond à souhait et n’hésitant pas à jouer dans le décalage en assumant un grotesque qui tranche avec la noirceur de son personnage. Une Elmire, qui entrevoit à travers les avances de Tartuffe une autre vie, plus épanouissante. Une femme qui montre ses fêlures. Mariane, timide et passive par essence apparait ici par ses réactions physiques complètement déjantées, un personnage secondaire original. Enfin le personnage d’Orgon, benêt et homme d’affaires à la fois ! Le trio, emmené par Gilles Cohen, Micha Lascot et Clotilde Hesmes, donne le ton recherché par Luc Bondy et trouve une cohérence à cette pièce. La scénographie provenant de sa version allemande également tient compte de cette fracture en mettant en avant un revêtement de sol à damier des plus tristes dans un ensemble froid tranchant avec des fauteuils confortables. Alternant lumière froide et chaude, la pièce campe sur cette ligne. Les respirations « silencieuses » entre les personnages sont pour le moins originales et apportent à la pièce un atout supplémentaire. Enfin, la dernière scène, émaillée d’un discours politique savoureux, est empreinte d’un fort réalisme. Une mise en scène à découvrir !
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Laurent Schteiner
Tartuffe de Molière
Mise en scène de Luc Bondy
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Avec Micha Lascot, Gilles Cohen, Clotilde Hesmes, Victoire Du Bois, Jean-Marie Frin, Laurent Grévill, Yasmine Nadifi, Fred Ulysse, Pierre Yvon, Yannik Landrein, Françoise Fabian et Lorella Cravotta.
- Décor: Richard Peduzzi
- Costumes: Eva Dessecker
- Lumière : Dominique Bruguière
- Maquillages/ coiffures : Cécile Kretschmar
- Crédits photo : Thierry Depagna
Théâtre de L’Odéon – Théâtre de l’Europe
Ateliers Berthier :1, rue André Suares, Paris 17e (angle du bd Berthier)
Locations : 01 44 85 40 40
Du 26 mars au 6 juin 2014
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