Théâtre : « Théorème / Je me sens un coeur à aimer toute la terre » d’après Pier Paolo Pasolini au Théâtre du Vieux Colombier
Le théâtre du Vieux Colombier met à l’honneur Amine Adjina dans une adaptation revisitée de l’Å“uvre de Pier Paolo Pasolini, Théorème. Ce spectacle, Théorème / Je me sens un cÅ“ur à aimer toute la terre est un spectacle éminemment existentialiste et poétique qui remet en place nos désirs, nos attentes et nos vraies priorités de vie dans un monde où l’amoncellement des rapports de pouvoirs nous fait oublier notre pure essence. Une très belle retranscription de la pensée de ce génial poète et dramaturge !
La mise en parallèle de l’univers de Pasolini et de Molière induit un acte d’émancipation sans pareil de la femme. Cette phrase dite dans le Dom Juan de Molière « Je me sens un coeur prêt à aimer toute la terre » sonne le glas d’un quelconque acte de vengeance mais amorce davantage l’annonce d’une émancipation qui déferlera telle une lame de fond incoercible. Nour, personnage central de cette pièce, en est le porte-drapeau salvateur. Mais la pierre angulaire de cette pièce demeure la solitude qui meurtrit chaque être de cette famille dont les pans vacillent au gré des crises, des rapports sociétaux antagonistes ne trouvant aucune autre piste possible pour survivre à cette déshérence tragique.
Dans une maison bourgeoise dominant la mer, la grand-mère se meurt. Nour, une jeune employée de maison tente de l’accompagner vers son dernier voyage. La mère et le père se déchirent. Elle, jugeant sa propre vie avec mépris, indifférente à son couple, se complait dans l’aigreur et le désintérêt de tout. Lui, patron de société, est davantage préoccupé par ses affaires et le monde déliquescent qui l’assaille. Engoncé dans un carcan stéréotypé bourgeois assis sur l’ordre, seule alternative possible selon lui au salut d’un monde qui s’enfonce dans le chaos. L’arrivée au pouvoir d’une femme blonde aux couleurs de l’extrême droite et au sourire carnassier lui procure un soulagement. Ses enfants versés dans des professions artistiques cherchent une once de liberté dans l’univers gris qui les entoure où les questions climatiques se font de plus en plus urgentes. Pour sa part, le fils rêve de devenir cinéaste et la fille, comédienne, travaille le monologue d’Elvire avec acharnement. Mais les tensions montent et la terre tremble. Un poète a été retrouvé mort sur le terrain vague. Les nuages s’accumulent. L’irruption d’un Garçon invité par la grand-mère changera à jamais la conception même de leurs vies écrites sur du vent.
Ce terrain vague laissé en friche ressemble à ces corps laissés en jachère, livrés à un désÅ“uvrement considéré comme une fin de non-recevoir à la vie. Le Garçon invité surprise apparait comme un passeur de désirs, celui qui révèle à tous leur véritable nature et leurs désirs charnels enfouis. Si l’univers semble s’effondrer, le toucher devient la source d’une renaissance. Le désir charnel nait dans ce toucher comme une expérience nouvelle. Les masques tombent et chaque membre de la famille apprend à reprendre sa vie en main. De cette pulsion irrépressible qui frise la transgression salvatrice, les mirages sociétaux cèdent en désorganisant ces vies toutes tracées. Les vidéos du fils permettent d’entrevoir par procuration ce rapport animal au désir et à la jouissance. Ce réveil des consciences crée le trouble dans les conventions sociétales établies et rassurantes. Dans cette jolie mise en scène de Amine Adjina et d’Emilie Prévosteau, les comédiens tous impeccables nous entraînent dans un tourbillon d’émotions où la poésie apporte un baume enchanteur à ce beau spectacle en emportant tout !
Laurent Schteiner
THEOREME / Je me sens un coeur à aimer toute la terre d’après Pier Paolo Pasolini
Texte : Amine Adjina d’après Pier Paolo Pasolini
Mise en scène : Amine Adjina & Émilie Prévosteau
Avec : Coraly Zahonero, Alexandre Pavloff, Danièle Lebrun, Birane Ba, Claïna Clavaron, Marie Oppert, Adrien Simion
- Scénographie : Céile Trémolières
- Costumes : Majan Pochard
- Lumières : Bruno Brinas
- Vidéo : Jonathan Maichel
- Musique originale et son : Fabien Aléa Nicol
- assistanat aux costumes : Cécile Box
- copyright : ©Vincent Pontet, coll.CF_35
Dates et horaires :
Du mercredi 5 avril au 11 mai 2023, Mercredi, jeudi, vendredi, samedi à 20h30, Dimanche à 15h, Mardi à 19h, Relâche le lundi
Lieu : La Comédie Française – Théâtre du Vieux Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris.