Théâtrothèque : « Même si le monde meurt ou le tout grand voyage » de Laurent Gaudé
Laurent Gaudé, Prix Goncourt 2004 pour le Soleil des Scorta, vient de publier chez Actes Sud-Papiers, un texte à forte consonnance philosophique, Même si le monde meurt ou le tout grand voyage. Une fois de plus, nous sommes saisis par la poésie de cette allégorie et la valeur des questions que se posent l’auteur. Si les scientifiques nous annonçaient avec précision la date et l’heure de la fin du monde… En l’occurrence le 17 août à 17h58, que vaudrait alors notre vie ? Que ferions-nous ?Â
L’annonce de cette issue fatale s’est propagée comme une trainée de poudre. La fin est certaine. Les fissures se font jour. Le jour d’après n’existera pas. Quelles options disposent l’humanité ? Se morfondre ou vivre à fond ce qui lui reste de temps. La vie s’est arrêtée ou au contraire procède d’un fuite en avant débarrassée de toute contrainte, de tout carcan. Une liberté pour vivre à fond chaque moment. Parfois, des exactions sont commises en sachant qu’elles n’auraient jamais eu lieu auparavant. Le dérèglement et les débordements font le lit d’une violence qui se veut libératrice et meurtrière.
Mais la question que pose l’auteur est ressentie avec acuité par un personnage, la mère, qui doit accoucher très prochainement. Elle a la vie en elle. Une vie pour quoi faire ? Vouer à la mort certaine. Il faut que son enfant, son fils voit le monde avant de disparaitre, avant que l’univers ne sombre. Tout s’accélère et l’enfant nait sous une forme particulière. On le nomme le Pressé de vivre. Il n’a que peu de temps pour appréhender le monde. Ce faisant, il vieillit vite et apprend très rapidement la vie terrestre. Un heure, un jour, un jour une semaine… Tout va vite, si vite. Il a soif de tout voir. Il doit se dépêcher.
Mais les scientifiques se sont lourdement trompés dans leurs prévisions. La fin du monde est remise en cause. Le Pressé de vivre apprend avec douleur cette annonce. Le monde perdurera au-delà de sa mort. Il n’aura que peu profité de son passage sur terre. Quelques instants. Sa trace éphémère sera balayée par le vent.
« Je dois savoir tous les goûts de vie. Tristesse. Mélancolie. Lenteur qui rend lourd, ça fait partie du tout. Je dois vivre et connaître tout ça, l’un et l’autre. La peur, la joie, le vague à l’âme de vie. Tout ».Â
A-t-on besoin d’épreuves pour apprécier le prix de la vie ? Une prise de conscience qui s’avère malheureusement toujours éphémère.
Laurent Schteiner