Attention, spectacle dérangeant. En voilà du théâtre qui surprend, qui bouscule, qui appuie là où ça fait mal ! « Un Siècle d’industrie » mis en scène par Hugo Malpeyre a reçu la mention spéciale du jury au Prix Jeunes metteurs en scène du Théâtre 13 en 2012 et l’on comprend très vite pourquoi. Retraçant le parcours d’une entreprise allemande fabricant des fours crématoires pour les camps d’extermination nazis, ce spectacle se joue au Théâtre de l’Opprimé jusqu’au 4 novembre. Si l’Opprimé nous avait habitué à des pièces fortes et engagées, il met cette fois la barre un cran plus haut en matière de prise de risque.
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Au lendemain de la première guerre mondiale, l’entreprise Kolb spécialisée dans le traitement des déchets voit arriver un nouveau membre en la personne d’Otto Krug. Au fil des années et grâce à sa liaison avec la femme du directeur, cet ambitieux gravit les échelons jusqu’à devenir ingénieur. Avec la montée en puissance des SS le nouveau marché des crématoriums tombe à point nommé pour l’entreprise en difficulté et lorsque les nazis lui demandent de plus en plus de fours crématoires, Krüg entraîne toute la firme dans l’extermination de milliers de juifs.
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Le texte de Marc Dugowson est librement inspiré de l’histoire de la firme Topf Und Shöne. Il y décrit le processus qui conduit les personnes les plus ordinaires à devenir le rouage indispensable d’une machine de guerre. Si ce sont les juifs que l’on extermine dans cette pièce, l’auteur nous interpelle sur tout les autres génocides de ce siècle puisqu’il se pose la question de la responsabilité de l’individu entraînant par la même une réflexion sur le devoir de mémoire.
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Hugo Malpeyre brise ici tous les codes usuels de la mise en scène et nous propose une véritable allégorie du chaos. Car n’en est-il pas question au final ? Le génocide n’est-il pas l’expression totale du chaos ? Dès le départ le spectateur est perdu, les limites de l’espace scénique sont brouillées. Les scènes courtes s’arrêtent et reprennent brutalement, les comédiens se changent à vue dans une joyeuse cacophonie. En malmenant volontairement son public, Hugo Malpeyre réussit à le surprendre au moment où il s’y attend le moins. L’horreur et la violence de la situation lui sont assénés d’un coup. Le décor est planté : les nazis, les camps de la mort, les fours, la haine, rien ne sera épargné au spectateur jusqu’à ancrer chez lui une sensation presque physique de malaise. Le plateau est de plus en plus submergé par les accessoires et l’espace de jeu pourtant délimité au départ par un carré lumineux ne cesse de déborder.Â
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Les comédiens se donnent tout entier à ce spectacle, repoussant eux aussi les limites du supportable. Ils se mettent littéralement à nu et investissent totalement leurs corps et leurs énergies au profit de cette dénonciation de l’horreur. Entre autres on retiendra le phrasé si particulier de Naïs El Fassi, le physique troublant de Mathieu Lourdel, ou encore le détachement terrible de Tristan Gonzalez. Ils mettent en place avec précision une tension palpable de bout en bout de la pièce qui aboutit à un tableau final sublime, l’homme émergera de ce chaos et pourra se reconstruire. Un spectacle qui laisse à coup sûr son empreinte !
Audrey Jean
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« Un Siècle d’industrie » de Marc Dugowson
Mise en scène d’Hugo Malpeyre
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Avec :  Maxime Berdougo, Gaëtan Delaleu, Naïs El Fassi, Vladimir Golicheff, Tristan Gonzalez, Mathieu Lourdel, Dina Milosevic
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Jusqu’au 4 Novembre
Du mercredi au samedi à 20H30
Le dimanche à 17H
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